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Datation au carbone 14

Le buste en cire de Flora n’est pas de Léonard de Vinci


​Des chercheuses du LSCE/LMC14 (CEA-CNRS-UVSQ) et de l'Institut de recherche de Chimie Paris (CNRS-Chimie ParisTech-C2RMF) tranchent une longue controverse : le buste en cire de Flora conservé au Bode Museum à Berlin est postérieur à la Renaissance. Pour y parvenir, elles ont mené une enquête rigoureuse, mêlant analyses chimiques et mesures du carbone 14, et sont parvenues à relever le défi de la datation d'un extrait d'animal marin, le blanc de baleine (ou spermaceti). 
Publié le 15 avril 2021

De nombreuses œuvres d'art ont été attribuées à Léonard de Vinci (1452-1519), le grand artiste, scientifique et ingénieur de la Renaissance italienne. Cependant, les historiens de l'art ont parfois les plus grandes difficultés à prouver ce lien. C'est le cas du buste en cire de Flora, conservé au Bode Museum de Berlin, dont le visage ressemble à des portraits du peintre italien.

En 1909, le Prussien Wilhelm von Bode déniche dans une galerie londonienne le buste en cire de Flora et l'acquiert pour le musée de Berlin, convaincu qu'il s'agit d'une sculpture de Léonard de Vinci. Dès 1910, le doute s'insinue. Le fils du sculpteur anglais Richard Cockle Lucas déclare que son père a réalisé cette sculpture en 1846 à partir d'un dessin et précise que la statue, creuse, a été bourrée. Vérification faite, la statue contient bien des objets en papier et en bois datant du 19e siècle. Mais les conservateurs du musée berlinois persistent à attribuer le buste à Léonard de Vinci.

Une datation au carbone 14 délicate

Dans la cire du buste, des chimistes observent la présence de spermaceti, ou « blanc de baleine », une substance blanche présente dans la tête de certains cétacés comme le cachalot. Ce matériau est rare à la Renaissance mais très courant au 19e siècle, où il était utilisé pour confectionner de la cire de bougie et pour créer des sculptures à partir de dessins ou de peintures.

Or le spermaceti ne peut pas être daté par la mesure du carbone 14 (14C) aussi simplement qu'un extrait végétal ou animal terrestre. En effet, un cachalot n'est pas directement exposé au carbone 14 (radioactif) contenu dans l'atmosphère mais à celui contenu dans l'océan, beaucoup plus ancien. Le 14C océanique a en effet « cheminé » plus ou moins longtemps, depuis sa naissance dans la haute atmosphère jusqu'à l'habitat sous-marin d'un cétacé. Il faut donc apporter une correction à la calibration des âges 14C du spermaceti. Une correction qui varie beaucoup d'une région océanique à l'autre...

La cire de Flora contient de nombreux autres ingrédients, dont la cire d'abeille. Il faut donc différencier l'interprétation des mesures de carbone 14 suivant la nature terrestre ou marine des matières organiques qui la composent !

Léda et le cygne : la même matière…

Les chercheuses ont procédé à des analyses approfondies de la cire du buste de Flora, aussi bien à la surface qu'à l'intérieur de la statue, ainsi qu'à celle de deux bas-reliefs de Richard Cockle Lucas dont la date est bien documentée : « Léda et le cygne » (1850) et « Femme et femme ailée » (1848).


Buste de la Flora, numéro d'inv. 5951, Skulpturensammlung-Museum für Byzantinische Kunst (SBM), Staatliche Museen zu Berlin (SMB) - Stiftung Preußischer Kulturbesitz (SPK)) avec deux objets de Richard Cockle Lucas ("Woman and winged woman" numéro d'inv. SBM Lfd. Nr. 247 et „Leda and the swan" Alte Nationalgalerie, SMB-SPK, numéro d'inv. B II 433) © SMB-SPK.

Elles ont caractérisé les constituants minéraux de la cire par émission de rayons X induite par des protons de 3 MeV (microPIXE) à l'installation NewAGLAE du Centre de recherche et de restauration des musées de France. Elles ont déterminé la composition de la cire, ainsi que son origine terrestre ou marine, grâce à la spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier (FT-IR) et la chromatographie en phase gazeuse combinée à la spectrométrie de masse (GC-MS), au Rathgen-Forschungslabor (Allemagne). La datation au radiocarbone des échantillons a enfin été réalisée au Laboratoire de mesure du carbone 14 (CEA, CNRS, IRD, IRSN, Ministère de la culture), à Saclay, par spectrométrie de masse par accélérateur.

Les résultats montrent que la cire du buste de Flora et du relief « Leda et le cygne » de 1850 ont des compositions très similaires, où domine le spermaceti mélangé avec un peu de cire d'abeille et d'autres composés organiques extraits d'animaux terrestres. Le relief « Léda et le cygne » a donc été utilisé comme référence pour déterminer la combinaison appropriée des courbes d'étalonnage terrestre et marine à appliquer au matériau en cire de Flora.

La répartition 85 % de matière d'origine marine et 15% d'origine terrestre avec une incertitude de 10 % a été retenue et conduit à une distribution des dates des prélèvements entre 1704 et 1950 qui exclut définitivement l'attribution de Flora à Léonard de Vinci, mort en 1519.

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